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Archives historiques de l'Union européenne

Les Balkans occidentaux : otages du passé ? Un entretien avec Klodiana Beshku

Klodiana Beshku, experte en géopolitique de la région des Balkans et chercheuse invitée à l'IUE, nous parle de ses récentes recherches sur les relations de la région des Balkans occidentaux avec l'UE, le problème du nationalisme et la position délicate de cette région par rapport à la guerre en Ukraine.

12 May 2025 | Research

Klodian Beshku in the Sala Noel at the Historical Archives of the European Union

Vous participez actuellement au projet G-Dem - The geo(politics) of democracy in the Western Balkans (La géo(politique) de la démocratie dans les Balkans occidentaux) du programme Widening Europe de l’IUE. Pouvez-vous nous parler de votre travail dans le cadre de ce projet ?

En effet, je participe au projet G-Dem dans le cadre du programme EUI Widening Europe, lancé par l'Institut il y a deux ans. Il s'agit d'un groupe de recherche d'expert.es des Balkans occidentaux sous la responsabilité de Jelena Dzankic, chercheure principale du projet, au Centre Robert Schuman.

Une série de six rapports techniques vient d’être publiée dans le cadre du projet, dont mon rapport sur l'Albanie, mais aussi ceux sur la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine du Nord et la Serbie. Ils sont tous disponibles en libre accès sur la plateforme de la bibliothèque de l’IUE.

Mon rapport identifie deux acteurs géopolitiques particulièrement importants pour l'Albanie : la Turquie et l'Italie. Mes conclusions suggèrent une « personnalisation » croissante de la politique étrangère albanaise au cours des dernières années, qui semble être motivée par des relations individuelles ou la préservation du pouvoir plutôt que par les valeurs européennes ou le bien commun.

En quoi l'engagement dans ce projet a-t-il été bénéfique pour vos recherches ?

En tant qu'Albanaise, j'ai eu le plaisir de travailler sur mon pays d'origine et de discuter de mes recherches avec d'autres chercheur.es des Balkans occidentaux qui sont des expert.es dans leur propre pays. Par exemple, la table ronde que nous avons organisée en décembre dernier a été une très bonne occasion de partager nos résultats, de donner notre opinion et d'échanger des idées.

Vous avez également mené des recherches indépendantes aux Archives historiques sur le rôle de l'Union européenne dans la dissolution de l'ex-Yougoslavie. Pouvez-vous nous en dire plus ?  

En 2023, j'ai obtenu une bourse du Fonds international de Visegrad pour exploiter des sources primaires aux AHUE dans le cadre d'un projet découlant de ma thèse de doctorat. Ce travail portait sur le rôle de l'Union européenne (UE) dans la dissolution de l'ex-Yougoslavie. À l'époque, je n'avais pas abordé le cas du Kosovo, mais seulement celui de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine du Nord. J'ai présenté ma candidature pour la bourse FIV afin d’examiner le cas du Kosovo et voir ce que les Archives pouvaient offrir en termes de sources sur le présent. A travers l’exploitation des sources des AHUE, j’ai cherché à comprendre pourquoi le dialogue entre Belgrade et Pristina n'aboutissait pas à l'époque. C'était l'essence de ma principale question de recherche. Le rythme de ce dialogue s'est à nouveau ralenti en raison de problèmes intérieurs dans ces pays - les manifestations de masse en Serbie et les difficultés à mettre en place un nouveau gouvernement au Kosovo - et j'espère donc que cette recherche jouera un rôle important dans la manière dont les relations entre le Kosovo et la Serbie pourraient bientôt reprendre.

Dans votre demande de bourse FIV, vous avez mentionné que les Balkans occidentaux étaient « otages de leur passé ». Qu’entendez-vous par là ?

Je faisais référence au nationalisme, très présent dans les Balkans occidentaux et dont nous voyons la montée dans les récents développements en Bosnie-Herzégovine avec les tendances sécessionnistes de la République serbe de Bosnie, revigorée par son leader nationaliste Milorad Dodik. Nous devons comprendre que le nationalisme radical exprimé par un État agit pour le renforcer dans les pays voisins, comme si une partie se nourrissait de l'autre. Selon moi, les questions du passé n'ont pas été résolues, ou pas complètement, en profondeur. Pour paraphraser Antonio Cassese, qui fut le premier président du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), dont j'ai consulté les archives privées conservées aux AHUE, lorsque la justice est rendue, lorsque les questions du passé sont résolues, les esprits peuvent se réconcilier. Les mots de Cassese m'ont beaucoup inspiré. Ils m'ont amené à la conviction que, sans la résolution des torts du passé, les Balkans resteront coincés dans la réalité actuelle, pris en otage. Nous ne connaîtrons pas de paix véritable dans les Balkans occidentaux sans une véritable réconciliation.

Selon vous à quoi ressemblerait la réconciliation dans les Balkans occidentaux ?

L'un des problèmes des Balkans occidentaux en tant que région est que l'histoire a été revisitée sous différentes perspectives et racontée dans de nombreuses versions. J'aimerais que les chercheur.es puissent venir consulter les fonds des AHUE pour se rappeler ce qui s'est déroulé dans le passé. Pour moi, les AHUE représentent une véritable source d'information, une chance de regarder l'histoire d'un point de vue neutre. Peut-être que si nous, en tant que région, pouvions arriver au point de revisiter l'histoire tous ensemble, et avoir une seule version de ce qui s'est passé, et étiqueter, avec le même nom, ceux qui ont fait du mal aux gens des Balkans occidentaux, je pense que cela pourrait être un bon pas vers la réconciliation et un moyen d'aller de l'avant à partir du passé. C'est ce que j'avais à l'esprit lors de mes recherches approfondies de ces derniers mois, et ce que j'espère transmettre dans ma recherche.

De quelle manière l'UE a-t-elle contribué à la démocratie dans les Balkans occidentaux ?

L'UE a agi pour aider les États à se remettre des conflits ethniques qui ont eu lieu dans les Balkans occidentaux et pour aider à la construction de l'État au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine. Même si cinq pays de l'UE ne reconnaissent pas le Kosovo comme un État indépendant, l'UE dans son ensemble a contribué au processus de consolidation de la paix par l'intermédiaire de ses missions sur place. La mission « État de droit » de l'Union européenne au Kosovo, connue sous le nom d'EULEX, a joué un rôle important dans la constitution et la consolidation du futur État du Kosovo.

L'UE a joué un rôle très important dans la consolidation de la démocratie dans les pays des Balkans. Il faut savoir que l'Europe exerce une sorte d'attraction magnétique sur la région. Elle représente un modèle à suivre. Le principe de conditionnalité, qui, à vrai dire, a parfois été extrêmement sévère à l'égard des Balkans occidentaux, vise à construire la démocratie et à consolider les institutions démocratiques et l'État de droit. Ainsi, dans les Balkans occidentaux, lorsque nous parlons par exemple de l'État de droit, nous parlons soudain de l'UE. Il est automatiquement associé à l'UE, comme les deux faces d'une même pièce.

Ensuite, je ne sais pas si beaucoup de gens sont au courant, mais l'UE a récemment adopté un fonds de relance de 6 milliards d'euros pour les Balkans occidentaux. Bien sûr, ce fonds est lié à certaines conditions, mais il va vraiment aider ces pays à réduire l'écart entre leur économie et le niveau de démocratie que l'UE attend d'eux. C'est très important et je considère que c'est le compte à rebours final pour l'entrée des Balkans occidentaux dans l'UE.

En tant qu'experte de géopolitique des Balkans occidentaux, quel est l'impact de la guerre en Ukraine sur l'approche de l'UE à l'égard de la région ?

La guerre en Ukraine marque une rupture avec le passé, un « changement de paradigme », dirions-nous. Mais paradoxalement, elle a eu un impact positif sur la relation de l'UE avec les Balkans occidentaux. Depuis le début du conflit, tous les acteurs ont cherché à remodeler et à redéfinir leurs sphères d'influence. Dans le cas présent, les Balkans occidentaux ont été considérés comme une sphère d'influence de l'UE, et l'UE a accordé une attention accrue à la région. Le plan de relance, par exemple, a été adopté un an après le début de la guerre et mis en œuvre en 2024. Ainsi, paradoxalement, la guerre a été un accélérateur des relations entre l'UE et les Balkans occidentaux.

Néanmoins, en tant qu'universitaire, mais aussi en tant qu'habitante des Balkans occidentaux, je suis très inquiète de la manière dont ce conflit pourrait se terminer. En effet, si certains des territoires envahis sont divisés entre la Russie et l'Ukraine, il y aura des répercussions mondiales bien au-delà des Balkans occidentaux, comme une boîte de Pandore. J'espère donc que l'UE résistera et que l'Ukraine sera en mesure d'empêcher la division de ses territoires, ce qui pourrait créer un précédent dans les Balkans occidentaux ou au-delà, puisque tout pays soutenu par la Russie pourrait suivre l'exemple de la Russie en violant la souveraineté d'un pays limitrophe.

Avez-vous des conseils à donner aux universitaires qui s'intéressent aux programmes de l'IUE et des AHUE ?

L'IUE est un excellent environnement, stimulant, un lieu de réflexion efficace entre collègues et chercheur.es. C'est ce que j'ai le plus apprécié depuis le début de mon parcours ici.

Le campus offre de nombreuses possibilités : le programme de doctorat, les formations exécutives au RSC et au STG, et les écoles/universités d'été. Il s'agit d'opportunités très profitables et passionnantes pour les jeunes chercheur.es qui souhaitent vivre au moins une fois une expérience sur le campus de l'IUE. La bourse du Fonds Visegrad aux Archives, par exemple, est très intéressante pour celles et ceux qui souhaitent ajouter une dimension historique à leurs recherches.

 

Klodiana Beshku est chercheuse académique invitée au Centre d’études avancées Robert Schuman de l'Institut universitaire européen, affiliée au projet G-Dem - The geo(politics) of democracy in the Western Balkans du programme Widening Europe de l'IUE, dirigé par Jelena Dzankic au Centre Robert Schuman. Elle est également professeure associée au département de sciences politiques de la faculté des sciences sociales de l'université de Tirana.

 

Last update: 12 May 2025

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