PhD thesis defence by Camille Sallé
Tandis qu’en Europe la prise en charge des pauvres fait débat, dans les Andes, après la conquête espagnole, différentes manières de prendre en charge les pauvres et malades se confrontent. Les programmes pour l’inculcation de la charité déployés par les autorités et penseurs coloniaux font de cette dernière une norme concernant l’attention aux malades, construite comme valeur coloniale. En menant une histoire des « économies du soin » dans la vice-royauté du Pérou au XVIème et XVIIème siècles, cette thèse participe à la compréhension des interactions entre système de santé, charité et régime colonial.
Afin d’éclairer comment la prise en charge des malades pouvait participer à la production et à la reproduction de l’ordre colonial, les hôpitaux de la vice-royauté du Pérou – espaces de soin parmi d’autres – sont mobilisés comme des observatoires des politiques de santé et comme des révélateurs des changements et des continuités dans les relations sociales et économiques qui se tissent autour du soin, dans l’entité politique polycentrique de la Monarchie espagnole. Tout d’abord, pour rendre compte des fondations d’hôpitaux, il apparait essentiel de ne pas se limiter au projet d’évangélisation à destination des population andines. Reflet de la dimension municipale de la colonisation, ce sont des projets d’hôpitaux qui se dessinent, plutôt qu’un projet unique. De nombreuses politiques hospitalières sont porteuses d’un projet d’ingénierie sociale englobant aussi bien les populations andines qu’espagnoles et leur manière d’exercer la charité. L’étude détaillée de la politique menée par le vice-roi Francisco de Toledo à la fin du XVIème siècle et de sa mise en place sur le terrain permet d’éclairer les enjeux attachés à ces hôpitaux. Resituée dans le contexte des attentes des patriciens vis-à-vis du monarque concernant le financement de ces institutions, elle permet d’aborder le rôle du pouvoir royal au-delà de la seule logique de l’évangélisation ou de la bienveillance. En s’achevant sur la prise en charge de ces hôpitaux par les ordres religieux de Saint Juan de Dios et des Béthlémites à la fin du XVIIème siècle, cette étude interroge également les changements et les continuités dans les économies politiques du soin.
Au cours de ces pages, cette recherche examine le fonctionnement et le financement de ces hôpitaux à partir d’études de cas centrées sur le district minier de Charcas et les villes coloniales de Potosí et Chuquisaca (actuelle Bolivie). Si ces hôpitaux apparaissent comme des lieux de soins, s’appuyant sur des thérapeutiques aussi bien spirituelles que corporelles, cette recherche ne tranche pas la question d’un bio-pouvoir s’exerçant sur le corps des malades. En revanche, elle met en lumière un autre rapport entre reproduction sociale, domination coloniale, charité et institutions de soin en retraçant les flux et mécanismes de redistribution qui traversent ces hôpitaux. C’est également à travers les enjeux de juridictions et l’économie politique municipale qui les entourent qu’ils peuvent être identifiés comme lieu de reproduction de l’espace politique de l’empire.